Block 25

Publié le par Paul Chytelman

Comme ces plaques de vases nauséabondes surgissant à la surface des marais dont les eaux chauffées par le soleil croupissent par la décomposition de végétaux, certains évènements de ma vie antérieure me reviennent parfois en mémoire, apportant leurs flots de souvenirs, d’effrois, d’angoisses, de pleurs et d’amertumes.

 

Je me souviens…

 

…du block 25 à Monowitz  où nous venions d’arriver, le 25 Février après cette parodie de  mise en quarantaine dans le block 11 du camp principal d’Auschwitz,

La vision quotidienne du mur des fusillés, étape de dressage pour briser notre volonté et nos velléités de révolte, séjour n’ayant duré qu’une quinzaine de jours à peine, après cette non moins mascarade que fut l‘affectation des uns et des autres à divers Kommandos de travail, selon des critères incompréhensibles qui s’avérèrent d’ailleurs n’être qu’un moment de divertissement pour le SS de service, le block 25 me fut assigné comme lieu d’hébergement et de répartition de notre maigre pitance.

 

C’est dans cette baraque que commença ma vraie vie de déporté.

 

Le Blockältester, c’est à dire le chef de baraque, était un allemand dont le matricule était précédé de la pointe noire, selon la désignation des causes de l’internement ou de nationalité des internés, c'est-à-dire un être déclaré « asocial », en réalité un criminel de droit commun, brute sans retenue, qui se défoulait en particulier sur ceux qui n’avaient pas de connaissances aussi minces soient-elles de la langue allemande. Il avait une prédilection à rechercher parmi les arrivants, soit des français, soit des néerlandais, sans savoir quels griefs il leur adressait plus particulièrement hors le fait qu’il les  considérait comme les plus sales de tous les internés.

Dès qu’il pénétrait dans le dortoir qui était notre seul lieu de rencontres entre les quelques citoyens de même nationalité, le silence se faisait très lourd, guettant ses paroles afin de distinguer le numéro qu’il allait sans doute appeler. Malheur à celui qui ne répondait pas à la première injonction de se présenter à lui. Malgré notre bon vouloir à traduire ce numéro dans la langue nationale de celui qui le portait, car nous venions tous des différent pays constituant  l’Europe,  il arrivait trop souvent  que l’interpellé réponde tardivement à l’appel de son numéro.

     La punition brutale et sans fondement s’abattait sur notre camarade. Il se retrouvait rapidement à terre, roué de coups de pied, le corps recevant de surcroît des coups de ceinturon ou de nerf de bœuf, le laissant pantelant, parfois sans connaissance.

Invariablement la conclusion était prononcé : « Schweinhunt » (chien de cochon) accentué par un « lump » (vagabond, va-nu-pieds). Puis il repartait, ayant expulsé sa haine,  le regard hautain, défiant tous les visages, une moue bestiale lui déformant les traits. Pour quel motif avait-il recherché notre ami ? nul ne le savait, la victime non plus d’ailleurs. Ainsi commença mon apprentissage de la peur, le renoncement à toute réaction qui aurait du être celui d’un combatif, cette passivité de l’agneau que ceux qui ne savent pas nous attribue, mais qui fit que nous avons plié l’échine dans l’espoir de ne pas être appelé un soir à notre retour du travail par cet ignoble forcené.

Le 27 ce même mois, Bernard de B…, mon ami dentiste de Bordeaux, mourut dans mes bras, victime d’une septicémie foudroyante, puis  ce fut cette longue litanie des noms de disparus ayant appartenus à mon convoi, cette interminable série de journées plus pénibles les unes après les autres, jusqu’au jour final, celui de notre libération ……le 15 Avril 1945.

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